Le 25 septembre 2005, il prit une décision : il ne lirait jamais.

Ce n’était pas un caprice, ni une lubie d’enfant.

Du haut de ses six ans, il était Peter Pan.

Il se croyait invincible, héroïque.

Et si ce n’avait pas été Peter Pan, ç’aurait été Peter Parker.

Il était assez arrogant pour penser que c’était un geste politique —

un acte de résistance, presque martyr.



Mais non.

C’était tout l’inverse.

Il avait simplement peur.

Peur d’échouer.

Il sentait qu’il n’y arriverait pas du premier coup.

Et lui, il n’aimait pas tomber.

Toujours, il allait trop vite.

Il courait avant de savoir marcher.



Ce 25 septembre 2005, tout était déjà joué.

Foutu d’avance.

Alors il chercha une issue,

un stratagème,

une triche.

À sa table d’écolier, il devint espion.

Menteur.

Il apprit à manier un pouvoir : la colère.

Car quand on ment chaque jour, tout devient difficile à tenir.



Mais s’il continuait ainsi, il se ferait vite démasquer.

Ce n’était plus le temps des caprices,

ni celui des super-héros.



Sa peau devenait rugueuse,

ses pulls plus serrés.

Il grandissait,

et on le voyait.

Il n’arrivait plus à être invisible.



Heureusement, il jouait bien la comédie.

Le rôle du cancre devint son refuge.

Mieux vaut être un fauteur de désordre qu’un idiot, pensait-il.



Désormais, il devait tout prévoir.

« Page 20, alinéa 7, lis la phrase. »

Et là, le vertige.



Trois options :

demander à un camarade de lui souffler la phrase,

prétexter une envie pressante,

ou aller au conflit.



Parfois, aucune de ces options n’était possible.

Alors, juste avant d’être appelé,

le regard de la professeure planté sur lui,

il trouvait une échappatoire.

Ce jour-là, à 11h50, il se coupa avec ses ciseaux Maped, pour gaucher.

L’index en sang, il fila à l’infirmerie.



Ce n’était rien, une égratignure.

Mais les doigts, ça saigne vite.

Et ça suffisait.

Encore un jour sans lire.



À la maison, c’était maman qui traduisait les exercices.

C’était leur secret.

Leur secret à tous les deux.



« Personne ne doit savoir que tu ne sais pas lire. »

Promis, maman.